Sur le CAFE du 8 juillet
Le sujet était : "Comment combattre les passions tristes"?
Deux préalables : On suppose l'existence de passions tristes comme allant de soi
on suppose que le combat est l'attitude adaptée au problème.
Il est bien évident qu'il fallait pointer ces deux présupposés pour en interroger l'éventuel bien-fondé, ou les rejeter.
Avant d'examiner la validité supposée de cette attitude polémique à l'égard des passions, il importe de définir "passions" et "passions tristes".
Passion : le contraire de l'action (Descartes). De "patior" souffrir, supporter, endurer - passif, passivité. Voire aussi le grec : pathos, qui donne pathologie. La conception ancienne, notamment stoïcienne, met l'accent su le côté passif de la passion : dépendance à un ou des objets élus comme exclusifs, fixation mentale, cristallisation du désir, obsession récurrente et incompréhensible, perte de contrôle du sujet etc.
Une conception plus tardive, romantique notamment, revalorise la passion en y découvrant un caractère dynamique, actif, en poésie, en politique etc.
Reste à voir si les deux éléments, actif et passif, ne se peuvent concevoir ensemble, comme deux modalités complémentaires, l'un basculant dans l'autre comme dans les alternances de gaîté et de tristesse, d'exaltation passionnelle et de chute : discours traditionnel sur l'amour, avec ses phases contrastées.
Mais l'essentiel est ailleurs : la passion est-elle l'expression d'une force active, ou la symptôme d'une déchirure, d'une blessure, qui se manifeste dans la liberté créatrice, ou dans la dépendance mentale?
D'où l'intérêt de distinguer des passions joyeuses et des passions tristes. Posons, avec Spinoza, que la passion joyeuse exprime un gain de puissance vitale, une énergie nouvelle et positive, une affirmation, et à l'inverse, la passion triste est celle qui affaiblit, enchaîne, aliène à l'objet ou à autrui ( ex : avarice, soumission, dépendance affective, crainte, culpabilité, fixation à l'argent, au sexe, additions diverses). Avec ce critère il est possible d'éviter un discours négatif a priori sur les passions, et de déplacer l'esprit du sujet vers la distinction entre actif et passif. La passion qui rend gai, qui donne la santé, qui renforce la puissance d'exister serait l'expression d'un désir authentique du sujet qui exprime librement son énergie, alors que la passion triste serait un symptôme de régression, de dépendance, d'aliénation.
La question de la passion étant précisée, on peut revenir à la problématique centrale : faut-il combattre les passions tristes, et si oui, comment?
Le groupe se demande si la lutte frontale est le meilleur moyen d'affaiblir les passions tristes. Est-il même possible de combattre une passion, quelle qu'elle soit? Quel est pouvoir de la raison, s'il est entendu que la passion est une sorte de dépossession de la raison? Exemples de lutte vaine : Tristan et Yseult, Anna Karénine, Nerval. Exemples valables ou pas? La littérature rend-elle compte des faits? Que nous dit la psychologie, et la psychopathologie?
Hume soutenait que la raison est impuissante face à la passion, car la raison peut connaître les rapports entre les faits, mais ne dispose pas d'énergie par soi. Seule une passion peut combattre une passion. La raison peut apprendre à faire jouer une passion contre une autre, dans un subtil jeu de déplacement des forces.
"Apprendre à biaiser" : jolie formule d'un des participants, qui dit bien la réalité des faits.
J'ajouterai à titre personnel que nous nous égarons dans les forêts passionnelles tant que nous n'avons pas trouvé notre propre désir fondamental. Que ces errements sont inévitables, voire nécessaires, bien que risqués, et qu'il faut une intelligence du coeur ( et des tripes) pour démêler le vrai du faux, l'essentiel de l'accessoire : errare humanum est.
Et cela permet en outre de démystifier une certaine image idéalisée et irréaliste de la sagesse, version stoïcienne, qui place la barre trop haut, et sous prétexte de maîtrise transforme l'homme en pierre ou en dieu.